mardi 24 mai 2011

Klaxon, trompettes et pétarades de Dario Fo


Analysez les documents suivants en répondant aux questions.
I. Un extrait de la pièce : le début
1) Quelle est la situation de départ ?
a) Où est-on ? Quel événement important a eu lieu avant que la pièce démarre ?
b) Quelle est la situation supposée d'Antonio ?
c) Qu'apprend-on de la relation Antonio/Rosa ?
d) Quelle place tient le patron de la FIAT, Agnelli dans cette situation de départ ?
2) Caractérisez le personnage de Rosa :
a) Quels sont ses traits de caractère dominants ? Faites le portrait le plus détaillé possible.
b) Comment l'imaginez-vous physiquement ? Justifiez.
3) Montrez que la pièce a déjà un arrière-plan politique :
a) Que sait-on des situations sociales et des opinions politiques des principaux personnages : Rosa, Antonio, Lucia ?
b) Quelle hypothèse formule Rosa pour expliquer l'accident ?

ACTE I

Lentement la lumière éclaire la salle de réanimation d’un hôpital. Allées et venues d’infirmier(e)s en tenues de bloc opératoire, blouses vertes, calots verts, gants en plastique, petits masques antiseptiques clownesques sur le visage. Quand la lumière s’allume, les infirmier(e)s, avec des mouvements stylisés, apportent sur la scène les éléments du décor : appareils électroniques variés, deux fauteuils à roulette style fauteuil de bureau. Le tout est recouvert de grandes toiles de plastique transparent (cellophane) et doit suggérer un milieu scrupuleusement stérile. Un infirmier installe, bien en vue, un très grand buste en argent posé sur un socle métallique, qu’il enveloppe à son tour dans de la cellophane. Par le fond entrent Rosa Minelli et le médecin.

LE MEDECIN: Je vous en prie, madame, si vous voulez venir de ce côté…

ROSA : (Se heurtant presque au grand buste) Oh mon Dieu, qui est-ce ?

LE MEDECIN: Comment qui est-ce ? Tout le « Complexe de réanimation » fait partie de la donation Agnelli… C’est le buste du président de la FIAT.

ROSA : Je l’avais pris pour un saint ! (L’infirmier 2 invite Rosa à enfiler une blouse) Je dois l’enfiler ?

INFIRMIER 2 : Bien sûr madame.

LE MEDECIN: Madame, si le courage vous manque, dites-le-moi, nous pouvons remettre à plus tard. Je vous préviens qu’il est dans un triste état…

ROSA : Non, non, je veux le voir tout de suite. Je suis prête…

LE MEDECIN: (à l’infirmière 2) Vous, restez à côté d’elle au cas où elle aurait un malaise…

ROSA : Non, non, ne vous inquiétez pas… je n’aurai pas de malaise !... (L’infirmier 2 lui avance une chaise) Il faut que je m’assoie ? Merci…

LE MEDECIN: Eh oui, chère Madame. Nous qui devrions être habitués, cela nous impressionne. Il est complètement défiguré, vous savez.

ROSA : Défiguré ? (Pleurant) mon Dieu, mon Dieu… Le pauvre Antonio… (L’infirmier 2 lui enfile des petites bottes en toile, stériles) Qu’est-ce que vous faites ? Ah, c’est pour pas rayer… Faites, faites, merci. (Elle se remet à pleurer) Oh, le pauvre Antonio ! Dire qu’il avait une si belle tête… L’air si ouvert, si sympathique… à moi en tout cas il me plaisait… Eh oui… qu’est-ce que vous voulez… je n’ai pas honte de le dire professeur… je l’aimais encore, moi, même si lui ne le méritait vraiment pas… il m’en a tellement fait voir, vous savez….

LE MEDECIN: (A un infirmier… off) Préparez-moi une solution à vingt gouttes d’Asvanol Complex…

ROSA : (toujours en larmes) Laissez tomber, professeur… ce n’est pas la peine je vous l’ai déjà dit…. je ne suis pas du tout émue… pour moi… mon mari… (Ton normal) c’était comme un étranger… (L’infirmier 2 passe aux mains du médecin une paire de gants stériles).

LE MEDECIN: Je vous crois… mais c’est par simple précaution, vous savez. Je ne voudrais pas prendre le risque de vous occasionner un traumatisme, mais c’est à cause de l’identification… c’est malheureusement la loi. Le fait par exemple qu’il y a un instant, quand vous l’avez vu dans le couloir, au sortir de la salle de radio, vous ayez manifesté une certaine perplexité, que vous l’ayez trouvé un peu amaigri par rapport au souvenir que vous aviez de lui …

ROSA : Eh oui, mais après j’ai tout de suite compris pourquoi il était dans cet état. C’est cette fille, là, avec qui il s’était mis, qui me l’a pompé… ! Vous savez qu’elle lui faisait faire du jogging ? Vous pensez un peu, un ouvrier, même spécialisé, aller le faire courir en survêtement rouge avec « NESTLE » écrit dessus… un bonnet « MICHELIN » et des tennis « MARLBORO »… On aurait dit une « Ferrari » sur le circuit de Monza !... Et puis Dieu sait ce qu’elle lui faisait manger… c’est une de ces dingues qui suivent la mode « bio », vous savez, la macrobiotique : du pain au son, des petits gâteaux au son, du riz et du blé pas décortiqués, je suis sûre qu’elle lui faisait même manger les noix avec la coquille !

Sur un signe du médecin un chariot est roulé sur la scène. Le corps du présumé Antonio y est allongé. Il s’agit en réalité d’un mannequin entièrement bandé et plâtré. Les infirmiers 3 & 1 saisissent l’extré

mité des cordelettes qui pendent de la structure métallique et les nouent aux extrémités du mannequin qui sera de la sorte, à différentes occasions, déplacé et soulevé comme une grande marionnette. L’entrée du mannequin est ponctuée de musique.

LE MEDECIN: Voilà Madame… veuillez vous approcher… du courage….

ROSA : Oh mon Dieu, Antonio, qu’est-ce qu’ils t’ont fait !? (Elle a un malaise et est soutenue par le médecin et les infirmiers).

LE MEDECIN: Allons, allons… du courage Madame… respirez profondément.

ROSA : Son nez… il n’a plus de nez !... Il est tout en bouillie ! Lui qui avait déjà de la sinusite !

INFIRMIER 2 : Asseyez vous là… détendez-vous (Il fait signe aux infirmiers d’éloigner le fauteuil du chariot. Les infirmiers obéissent).

ROSA : Et le menton… Il n’a plus de menton non plus ! Ils me l’ont gommé… Il ne lui reste plus rien… sauf les oreilles. (Elle l’appelle très fort) Antonio, Antonio ! Vous avez vu ? Il a deux oreilles mais il ne m’entend pas !

LE MEDECIN: Forcément… il est dans un coma profond. (A un infirmier… off) Ca vient ces gouttes ?... Et préparez-moi une seringue avec du Mécardizol.

ROSA : Laissez tomber la seringue… si c’est pour moi… parce qu’à tous les coups je vais me retrouver avec un abcès aux fesses ! Et puis après ça ils parlent de criminalité et de terrorisme… et ça, c’est quoi ? Quels salauds ces dirigeants… et Agnelli le premier ! Ils l’ont sûrement envoyé réparer un commutateur suspendu à je ne sais combien de mètres de hauteur, sans protection… Pan ! La décharge ! Triple saut périlleux sans filet ! Ah ! Ils me font rigoler à Bouglione !

LE MEDECIN: Non Madame, l’accident ne s’est pas produit au cirque Bouglione… oui, je voulais dire à l’usine, à la FIAT.

ROSA : Ah non ? Comment vous faites pour être si sûre?... Vous y étiez ?

LE MEDECIN: Non, mais le bureau de la Sécurité sociale de l’hôpital s’en est occupé. Ils ont fait une enquête rapide. Hier, votre mari était absent, il ne s’était pas présenté à son travail l’après-midi.

ROSA : Et alors, où est-ce que ça a pu se passer ?

LE MEDECIN: Peut-être a-t-il été renversé par une voiture… un chauffard. L’individu qui l’a déposé aux urgences s’est en effet immédiatement évanoui dans la nature, disparu !

ROSA : Ah oui ? Il a filé ce salaud ! Qu’il aille au diable! (Elle monte sur la petite échelle placée au pied du chariot) Oh, Antonio, Antonio, mon chéri, quel malheur. Je suis sûre que si tu étais resté avec moi… Je parie qu’il s’est fait renverser pendant qu’il faisait son jogging ! Tout est de la faute de cette petite garce… parce que écoutez professeur… c’est une belle fille, je ne dis pas, mais c’est la beauté du diable, pas plus. Vous pensez, à vingt-sept ans, elles s’y entendent toutes pour faire marcher les types… Ca me fait rire !... Vous m’auriez vue, moi, à cet âge-là ! C’est pas pour me vanter, mais quand je passais dans la rue, je cassais la baraque ! Un tabac !

LE MEDECIN: Mais je vous crois, vous êtes d’ailleurs une belle femme encore maintenant…

ROSA : Je sais

LE MEDECIN: C’est la vérité… Bon, si cela ne vous ennuie pas revenons à votre mari. Maintenant faites bien attention à ses mains… (Les infirmiers tirent les cordes et soulèvent les mains du mannequin) Les reconnaissez-vous comme étant les siennes ?

ROSA : Là, comme ça, non… on dirait deux paupiettes… Mais après si… quand il sera guéri… parce qu’il va guérir, n’est-ce pas professeur… Jurez-moi qu’il va guérir professeur…

LE MEDECIN: Calmez-vous, Madame… je vous assure, nous ferons l’impossible… votre mari est un homme très solide.

ROSA : Ah pour ça, oui, il est solide, et comment ! Il avait une santé, une énergie ! Rien ne lui faisait peur. Quand il fallait faire le festival de l’Unità, par exemple, parce que nous vous savez, on est militants communistes de père

en fils. C’est une tradition qu’on se transmet de famille en famille… oui, je disais, c’était toujours lui qui dirigeait tout ; il montait les stands, il vendait les livres et il les achetait même, vous savez… et même aux réunions de cellule, pendant les débats, il faisait le rapport, la contestation et même l’autocritique, tout ça tout seul ! D’accord, derrière, il y avait elle… la petite garce, qui le poussait. Parce qu’elle c’est une extrémiste, aucune carte dans sa poche, rien… même pas celle du Parti Socialiste ! Vous savez, une de ces intellectuelles qui veulent toujours tout apprendre à la classe ouvrière. Qui adorent les masses mais qui ne peuvent pas supporter la foule. Au fait, où est-elle maintenant ? Ici peut-être ?


II. Un entretien avec le metteur en scène et le dramaturge

III. Une lettre d'Aldo Moro

1) Quelle thèse défend Aldo Moro concernant son sort (prisonnier des Brigades rouges) : selon lui, que devrait faire les autorités ?
2) Quelle thèse, au contraire, est défendue par l'état ? Quelle est sa conséquence pour Aldo Moro ?
3) Quels sont les partisans de la thèse de l'état cités par Moro ?

4) Moro était avant son enlèvement Président du Conseil (c'est-à-dire l'équivalent de notre Premier Ministre) et le dirigeant du Parti de la Démocratie Chrétienne. Quelle est l'attitude de son parti et de ses représentants (Zaccagnini, Andreotti) face à son sort ? Quelles réflexions et réactions cette attitude lui inspire-t-elle ?

5) A qui Moro est-il finalement contraint à s'en remettre ?


« Lettre au Parti de la Démocratie chrétienne (DC),

(…) C’est vrai : je suis prisonnier et je n’ai pas le coeur à me réjouir. Mais je n’ai subi aucune coercition, je ne suis pas drogué, j’écris avec le style qui est le mien –même s’il manque d’élégance, la calligraphie est celle de toujours. Mais, dit-on, je suis un autre et je ne mérite pas d’être pris au sérieux (…) Pourquoi avaliser ainsi la thèse qui me dénie l’authenticité ? Entre les Brigades rouges et moi, il n’est pas l’ombre d’une communauté de vues. Et ne constitue certainement pas une identité de vues le fait que j’ai soutenu depuis le début (…) que j’estimais acceptable un échange de prisonniers politiques comme il s’en produit en temps de guerre (…) Concrètement, l’échange bénéficie (et c’est un point que je me permets de soumettre humblement au Saint-Père) non seulement à celui qui se trouve dans la partie adverse, mais également à celui qui risque d’être mis à mort, à la partie non combattante, en substance à l’homme du commun comme moi.

Sur quelle base déduire que l’état court à sa ruine si, pour une fois, un innocent survit et, en échange, une autre personne prend le chemin non de la prison, mais de l’exil? Tout est là. C’est sur cette position, qui condamne à mort tous les prisonniers des Brigades rouges que s’est retranché le gouvernement, que s’est retranchée avec obstination la DC, que se sont retranchés les partis en général, même si le Parti socialiste a émis une réserve, dont il conviendrait qu’elle fut clarifiée d’urgence, et dans un sens positif, car il n’y a pas de temps à perdre (…) C’est au cœur de la DC que l’on ne sait pas affronter avec courage les problèmes. Et, dans le cas qui me concerne, cela signifie ma condamnation à mort, en substance celle avalisée par la DC, laquelle, retranchée sur les principes discutables qui sont les siens, ne fait rien pour éviter qu’un homme, peu importe qui il est, mais en l’occurrence l’un de ses représentants prestigieux, un militant fidèle, soit conduit à la mort (…)

Je meurs, si telle est demain la décision de mon parti, dans la plénitude de ma foi chrétienne et dans l’amour immense pour une famille exemplaire que j’adore et sur laquelle j’espère veiller du haut des cieux (…) Mais ce bain de sang ne fera de bien ni à Zaccagnini, ni à Andreotti, ni à la DC, ni au pays. Chacun portera la responsabilité qui est la sienne.

Je ne désire pas autour de moi, je le répète, les hommes du pouvoir. Je veux près de moi ceux qui m’ont vraiment aimé et continueront à m’aimer et à prier pour moi. Si tout a été décidé, qu’il en soit fait selon la volonté de Dieu. Mais que nul responsable ne se dissimule derrière ce qu’il prétend être le devoir accompli.

Les choses seront claires, elles seront claires bientôt.

Aldo Moro

Avril 1978, à quelques jours de son exécution par les Brigades Rouges




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